Le CTO du fondeur américain détaille sa feuille de route. Futurs processeurs, ordinateur quantique, 5G, voiture autonome, il égrène ses projets et sa vision pour les années à venir.
La loi de Moore est-elle toujours pertinente ? Existe-t-il un risque pour qu'elle prenne fin ?
Au fil du temps, la loi de Moore a évolué. Dans les années 90, il s'agissait de rendre les éléments plus fins et plus petits. Mais à cette époque, vous n'aviez pas à intégrer autant de composants qu'aujourd'hui.
La loi de Moore est avant tout une observation économique affirmant que la diminution des coûts permettait de créer des produits plus sophistiqués. Sans cette réduction des coûts, il serait impossible de mettre sur le marché tous les produits que nous imaginons. Or, viser une distribution mass-market a toujours été l'objectif d'Intel et de notre industrie. Dans le futur, il se peut donc que la loi de Moore continue d'évoluer sous différentes formes et avec des caractéristiques technologiques différentes, du moment qu'elle conserve cette logique de diminution des coûts.
En parlant de distribution mass-market, pensez-vous que l'ordinateur quantique puisse, un jour, devenir un produit grand public ?
Je ne pense pas que cette technologie se retrouvera chez le consommateur lambda. La principale raison à cela est que pour faire fonctionner cette technologie, vous avez besoin d'espace de refroidissement sophistiqué. Ce n'est pas une technologie qui peut être embarquée dans votre poche ou dans votre voiture.
Les ordinateurs quantiques n'ont donc aucune chance de remplacer les ordinateurs traditionnels mais ils permettront sans doute de résoudre des problèmes beaucoup plus complexes. Sans pour autant être destiné au grand public, je pense que l'ordinateur quantique deviendra un produit commercial d'ici une dizaine d'années. Mais il nous reste encore du chemin à parcourir, notamment pour augmenter sa puissance de calcul.
Quand pensez-vous commercialiser vos processeurs d'une finesse de gravure de 10 nanomètres ? Quelle est la feuille de route d'Intel pour la sortie des processeurs 7 et 5 nanomètres ?
Nous avons annoncé la commercialisation de nos processeurs en 10 nanomètres pour l'année prochaine. Nous en vendons déjà actuellement en petite quantité, mais la vente en grand volume démarrera bien en 2019. Concernant notre agenda, nous ne l'avons pas encore rendu public mais nous savons déjà de quoi seront composés les 7 et 5 nanomètres. Grâce à nos travaux de recherche, nous pouvons déjà anticiper ce qui viendra ensuite. En résumé, nous avons une visibilité sur 10 ans, avec une orientation très claire.
Quel est le rôle qu'Intel ambitionne de jouer dans le secteur de l'intelligence artificielle ?
Nous sommes persuadés que l'IA doit faire bien plus que ce qu'elle fait aujourd'hui. Les notions de contexte et d'adaptation doivent être davantage exploitées. En tant qu'humains, nous nous adaptons naturellement car c'est la nature même de l'intelligence de pouvoir s'adapter. Les systèmes d'IA actuels peuvent apprendre mais ils ne peuvent pas vraiment s'adapter à des situations variées. Le deep learning nécessite aujourd'hui au moins 10 000 exemples d'une même situation pour que le système soit capable de choisir le bon pattern. En réalité, il est très difficile de développer un système qui puisse s'adapter dès que vous modifiez un élément d'une situation.
Quelles sont vos avancées dans le domaine de la 5G ?
Cela dépend de votre définition de la 5G. Intel a déjà lancé plusieurs pilotes que certains pourraient définir comme des projets de niveau 5G. Mais les standards de ce futur réseau n'ont pas encore été définis. Nous espérons qu'ils le seront d'ici 2020. Je pense qu'il faudra environ cinq ans avant que ce réseau devienne largement répandu.
"Il faudra attendre 10 ans pour que les véhicules autonomes fassent parti du paysage"
La 3G a permis la communication entre personnes. La 4G a permis la communication entre personnes et ordinateurs, en facilitant par exemple le téléchargement de vidéos sur votre téléphone. La 5G permettra, elle, la communication entre machines. Il faudra donc que ce réseau soit fiable et rapide. Dans ce but, nous pourrions réfléchir à créer des versions optimisées pour des usages spécifiques.
Intel mise beaucoup sur le secteur de la conduite autonome. Vous avez notamment racheté la société MobileEye pour 15 milliards de dollars en 2017. Envisagez-vous de développer votre propre véhicule autonome ?
Notre vocation n'est pas de construire ces véhicules nous-mêmes mais plutôt de développer les systèmes de conduite qui les équiperont. Nous savons que les challenges sont nombreux mais nous pensons qu'ils ne sont pas insurmontables.
Sommes-nous encore loin de retrouver ces véhicules autonomes partout sur nos routes ?
La technologie n'est aujourd'hui pas encore mature mais des tests sont actuellement menés par différentes entreprises comme vous pouvez le lire comme moi dans la presse. Intel mène également ses propres pilotes.
Il faut noter que la question de la distribution de cette technologie n'est pas encore claire : s'agira-t-il de véhicules vendus aux consommateurs ou bien d'un service de transport auquel il faudra s'abonner ? Les avis diffèrent sur le modèle à mettre en place. D'ici 5 ans, ces voitures se retrouveront sur nos routes mais se feront sans doute encore rares. Il faudra probablement attendre une dizaine d'années pour que ces véhicules fassent complètement partie du paysage.
Suite aux failles de sécurité Spectre et Meltdown, Intel a développé une série de correctifs qui semblent toutefois ralentir les performances des processeurs. Travaillez-vous à une solution ?
A chaque fois que vous ajoutez une couche de sécurité supplémentaire, vous prenez le risque de ralentir le système. De la même manière qu'ajouter un cadenas supplémentaire sur votre porte d'entrée vous ralentira lorsque vous rentrez chez vous ou que les contrôles aux aéroports rendent l'embarquement plus long. Nous faisons bien entendu tout notre possible pour minimiser cette baisse de performance. Dans l'idéal, nous aimerions permettre à nos clients de pouvoir configurer le niveau de sécurité qu'ils souhaitent. Une entreprise offrant des services dans le cloud voudra par exemple opter pour un niveau de sécurité très élevé alors qu'une application orientée vers le consommateur aura peut-être besoin d'un niveau de sécurité moindre. Nous travaillons actuellement sur cette question.
Intel semble avoir manqué l'opportunité du marché des smartphones. Est-il encore possible qu'il rattrape son retard ?
Avant de décider quel marché nous souhaitons cibler, nous regardons si la taille de celui-ci est suffisamment importante. Dans le cas des smartphones, nous avons ouvertement reconnu que nous n'avions pas imaginé qu'il s'agirait d'un marché important et nous avons eu tort. Cependant, même si notre postulat de départ n'était pas le bon, nous avons réussi à rattraper notre retard. Car même si les processeurs d'Intel n'équipent pas les smartphones, nous sommes présents dans ces appareils par le biais des systèmes de communication. Le modem 5G est un exemple.
Quelle est votre méthode pour sélectionner vos futurs projets et produits ?
Intel doit, comme beaucoup d'entreprises, dire non à la grande majorité des projets qui sont sur la table. Notre objectif est de concentrer nos efforts sur une minorité afin de rendre nos produits les meilleurs possibles. Mais mon rôle en tant que CTO est aussi de mener des recherches, et de ce point de vue il est préférable de ne pas dire non trop tôt à un projet au risque de manquer des opportunités. Nous disons donc oui à énormément de projets même si nous pensons parfois qu'ils peuvent conduire à un échec. Mais dans le cas inverse, ils peuvent parfois déboucher sur de véritables innovations ! C'est d'ailleurs le sens de nos partenariats avec les universités : avec elles, nous pouvons mener énormément de recherches dans des domaines très variés, ce que notre entreprise ne pourrait pas faire seule.
Quels sont les principaux projets d'Intel pour les dix ans à venir ?
Au cours de ces 10 prochaines années, nous espérons voir la loi de Moore continuer de s'appliquer. Nous voulons également aller plus loin dans l'IA. Nous n'avons pour l'heure fait qu'effleurer la surface de ses réelles possibilités. Nous n'en sommes qu'au tout début. Cependant, à mesure que la technologie évolue, il faut également se rappeler que nous, humains, évoluons beaucoup plus lentement. Notre capacité à développer des technologies est une chose, mais la façon dont nous les utilisons n'est pas toujours prévisible. Et je n'ai malheureusement pas de boule de cristal pour savoir comment nous, humains, penserons dans dix ans...
Michael Mayberry est CTO d'Intel Corporation et responsable d'Intel Labs. Il rejoint d'abord l'entreprise en 1984 en tant qu'ingénieur. A partir de 1994, il travaille notamment au développement des tests de process pour les microprocesseurs d'Intel. En 2005, il rejoint le centre de recherche Components Research du groupe. Michael Mayberry a obtenu un PHD en physique chimie à l'université de Berkeley en 1983 et un Bachelor en chimie et mathématiques au Midland College en 1978.
Source : Cette information et actualité qui a suscité notre intérêt, a été publiée par Michael Mayberry sur le site journaldunet.com que nous remercions. il nous a semblé pertinent de vous en faire profiter.